L’affaire Madiambal Diagne continue d’alimenter les débats. Pendant qu’il s’est réfugié en France, son épouse Mame Bineta Diaby, ses deux fils Mohamed et Saliou, ainsi que son marabout Serigne Mor Mbaye ont été envoyés hier en prison par le juge du 1er cabinet du pool judiciaire financier. Nos confrères de Seneweb dévoile le réquisitoire introductif corsé du procureur de la République financière. Révélation !
Selon la requête faite le 27 août 2025 par le Procureur de la République financier adjoint Ablaye Diouf, le 1er août 2025, consulté par Seneweb, la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) a transmis au parquet du pool judiciaire financier un rapport suite à une enquête financière sur des flux suspects impliquant Madiambal Diagne, la SCI Pharaon et la société Ellipse Projects PTE Ltd.
C’est dans le cadre de l’exécution d’un contrat de partenariat public-privé (PPP) visant la réalisation du Programme de Modernisation et de Construction d’Infrastructures de la Justice (PMCIJ).Au départ, le contrat en question, signé le 27 novembre 2020, portait sur la construction de 69 bâtiments judiciaires et d’un hôpital à Ourossogui, pour un montant total de 250 milliards de FCFA. Cependant, en amont de la conclusion de ce contrat principal, un contrat de sous-traitance anticipé a été signé le 5 février 2020, soit dix mois avant, entre Ellipse Projects et la SCI Pharaon pour une rémunération globale de 20 334 667 000FCFA.
D’après les investigations de la CENTIF, cette rémunération paraît excessive au regard de l’objet de la sous-traitance (accompagnement, études architecturales, suivi et assistance à l’exécution des travaux) et semble établir des éléments d’une surfacturation. Toutefois, au-delà de l’antériorité temporelle qui constitue un indice fort d’une planification occulte du projet public autour d’un prestataire déjà sélectionné, l’analyse des stipulations du contrat de sous-traitance conforte l’existence d’une collusion entre les acteurs de ce projet. En effet, elles définissent déjà de façon précise et exhaustive les prestations du contrat principal non encore signé.
En outre, l’enquête de la CENTIF a révélé que la SCI Pharaon, constituée en mai 2016 avec un capital de 1 000 000 FCFA, est une entreprise familiale détenue exclusivement par Madiambal Diagne, son épouse Mame Bineta Diaby et leurs six enfants. Elle a un objet social très large mais n’a aucune compétence technique documentée en matière de BTP ou en conduite de projets publics.À cela s’ajoute le fait que Madiambal Diagne est identifié comme l’introducteur de la société Ellipse Projects auprès des autorités gouvernementales et est soupçonné d’avoir joué un rôle pivot dans la structuration du contrat au profit de la SCI Pharaon dont il est le bénéficiaire direct.
Sur le plan financier, des flux atypiques et opaques ont été relevés par les enquêteurs entre avril 2021 et juin 2022, période durant laquelle la SCI Pharaon a encaissé plus de 12 milliards de FCFA, versés par la société Ellipse Projects PTE Ltd, adjudicataire du marché, avec notamment des crédits suspects, dont plus de 4 milliards de FCFA en doublon, et sans justification contractuelle. Parallèlement à ces crédits, des retraits massifs en espèces et des chèques au profit de particuliers ont été notés.
Parmi ces bénéficiaires figure notamment Mame Bineta Diaby, épouse et coassociée de Madiambal Diagne, qui a encaissé sept chèques pour un montant cumulé de 1 176 500 000FCFA sans qu’aucune justification économique, contractuelle ou statutaire n’ait été trouvée.Par ailleurs, le rapport de la CENTIF a révélé que la SCI Pharaon aurait utilisé le contrat avec Ellipse Projects comme un levier pour obtenir un financement. Il est apparu qu’immédiatement après la signature du contrat de sous-traitance, la SCI Pharaon a médiatisé des projets d’envergure, notamment la levée d’une ligne de crédit de 5 milliards pour construire une tour aux Mamelles. Ce qui rend crédible l’hypothèse selon laquelle les annonces médiatisées de la société visaient à légitimer a posteriori une stature technico-financière qui n’existait pas auparavant.En conclusion, le rapport met au jour un montage contractuel et financier structuré autour de la SCI Pharaon, qui a servi de vecteur d’appropriation privée de deniers publics mobilisés pour un programme public d’envergure.
La sous-traitance anticipée, la faiblesse technique de la SCI et les flux bancaires opaques convergent vers cette hypothèse d’un blanchiment de capitaux opéré au moyen d’une structure familiale.S’agissant des responsables d’Ellipse Projects, il ressort du rapport que leur rôle ne saurait être réduit à une simple relation contractuelle avec la SCI Pharaon. En effet, Alex Alizé, signataire du contrat principal, Olivier Picard, fondateur et directeur exécutif, ainsi qu’Arnaud Cudel, directeur commercial et responsable de la succursale dakaroise, ont non seulement accepté de conclure une convention de sous-traitance avant même la signature du contrat de partenariat public-privé, mais ont également validé des rémunérations excessives au profit d’une société familiale dépourvue de toute expertise technique. Leur implication dans la structuration du contrat, leur validation des flux financiers injustifiés et leur rôle actif dans l’intégration artificielle de la SCI Pharaon au cœur du projet traduisent une volonté délibérée de participer au montage frauduleux.
Pour le parquet financier, au regard du nombre des acteurs intervenus, de la signature anticipée du contrat, indice d’une planification concertée et de la répartition des rôles entre Madiambal Diagne, décideur réel, Mohamed Diagne, signataire de façade, et les responsables d’Ellipse Projects, il apparaît des éléments traduisant l’existence d’une concertation ou entente structurée, organisée dans le temps et orientée vers la préparation et la commission d’infractions.
Ce que vise le parquet financier…
Le procureur financier a visé les chefs d’association de malfaiteurs commise par un groupe criminel organisé contre tous, escroquerie portant sur des deniers publics estimée à 12 milliards pour Madiambal Diagne, Mohamed Diagne, Alex Alizé, Olivier Picard, Arnaud Cudel et X ; blanchiment de capitaux commis par un groupe criminel organisé et en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle contre Madiambal Diagne, Mohamed Diagne, Alex Alizé, Olivier Picard, Arnaud Cudel et X. L’infraction de complicité de blanchiment de capitaux commise par un groupe criminel organisé et utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle est requise à l’encontre de Mame Bineta Diaby. Ses délits sont prévus et punis par les articles 238, 239, 152, 153 et 154 du Code pénal et par les articles 9, 184, 185 et 186 de la loi 2024-08 du 14 février 2024 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.
Sur la détention…
Toujours dans son réquisitoire introductif, le parquet financier explique qu’attendu qu’en application de l’article 140 du Code de procédure pénale, le juge d’instruction délivre obligatoirement mandat de dépôt contre toute personne inculpée pour escroquerie ou détournement de deniers publics lorsque le montant du manquant est supérieur à 100 millions et qu’il n’a été ni remboursé ni cautionné, encore moins contesté sérieusement.
En l’espèce, Madiambal Diagne, Mohamed Diagne, Alex Alizé, Olivier Picard, Arnaud Cudel sont inculpés pour des faits d’escroquerie portant sur des deniers publics d’un montant de 12 milliards, donc largement supérieur au seuil fixé par la loi. Le ministère public précise que ce montant n’est ni remboursé, ni cautionné et que des contestations sérieuses ne peuvent être soutenues eu égard aux constatations effectuées par la CENTIF. Il y a lieu de décerner un mandat de dépôt à leur encontre.
Sur le délit de complicité de blanchiment de capitaux…
Imputée à Mame Bineta Diaby, le procureur estime que les faits sont graves et causent un trouble à l’ordre public eu égard à leur nature et au montant en cause. Pour le maître des poursuites, l’épouse ne présente pas de garanties suffisantes de représentation en justice et que la procédure révèle l’implication d’autres personnes. Et qu’une mesure de liberté pourrait lui permettre de se soustraire à l’action pénale ou d’entrer en collusion avec ces personnes non encore identifiées, voire d’exercer une pression sur des témoins éventuels. Elle pourrait également en profiter pour dissimuler les fonds issus de ses activités délictueuses. Qu’il y a lieu, par conséquent, d’ordonner son placement sous mandat de dépôt sous fondement des articles 70, 71 et 77 du Code de procédure pénale, les articles 238, 239, 152 et 154 du Code pénal et par les articles 9, 184, 185 et 186 de la loi 2024-08 du 14 février 2024.
Des saisies conservatoires sur les biens en vue
Le procureur de la République financier a demandé au magistrat instructeur d’ordonner, dès réception du dossier et avant inculpation, l’interdiction de sortie du territoire national des inculpés et de décerner le mandat de dépôt contre tous. Il a demandé également au magistrat d’ordonner des mesures conservatoires sur les biens identifiés des inculpés et des sociétés Ellipse Projects et SCI Pharaon.
Le juge a sollicité la requête aux institutions financières pour l’identification de tous les comptes ouverts au nom des inculpés ou de leurs proches, ou sur les comptes où ils ont des pouvoirs de signature en vue de saisies conservatoires. Également, l’appui de l’ensemble des conservateurs fonciers de Dakar et de toutes autres régions pouvant abriter des biens immobiliers, pour identifier les immeubles immatriculés au nom des inculpés ainsi qu’aux noms de leurs proches parents (épouses et enfants ou personnes avec liens de proximité suspects) a été demandé.
Le juge a aussi demandé au juge de requérir la Direction des Transports pour identifier tous les véhicules immatriculés au nom des inculpés, de leurs proches parents. Enfin, l’apport de l’administrateur des greffes du Tribunal de commerce hors classe de Dakar afin d’identifier tous les fonds de commerce inscrits aux noms des inculpés est demandé.
AVEC SENEWEB